Mère Cécile Bruyère
Jeanne Henriette Bruyère, connue plus tard sous le nom de Mère Cécile, naquit le 12 octobre 1845 à Paris, dans l’ancien 2ᵉ arrondissement. Issue d’une famille cultivée, petite fille de l’architecte Jean Jacques Marie Huvé et de la peintre Élise Bruyère, elle grandit dans un milieu où l’intelligence, la sensibilité artistique et la profondeur spirituelle se mêlaient.
Très jeune, elle fut marquée par la personnalité et l’enseignement de dom Prosper Guéranger, restaurateur de la vie bénédictine en France et abbé de Solesmes. Elle devint sa fille spirituelle, recevant de lui une formation doctrinale et liturgique qui orienta toute sa vie intérieure. Sous son influence, elle sentit naître en elle la vocation monastique et le désir de voir renaître, pour les femmes, une vie bénédictine fidèle à la tradition.
En 1866, alors qu’elle n’avait que vingt et un ans, elle participa à la fondation du premier monastère féminin de la Congrégation bénédictine de France, futur monastère Sainte Cécile de Solesmes. Cette fondation répondait à l’attrait de plusieurs jeunes femmes qui, connaissant l’abbaye restaurée de Saint Pierre, aspiraient à une vie semblable. Jeanne Henriette y reçut le nom de sœur Cécile. À peine un an après la fondation, en 1867, elle fut élue prieure du jeune monastère, signe de la confiance que dom Guéranger plaçait en elle et de ses qualités exceptionnelles de discernement, de fermeté et de douceur.
Le 20 juin 1870, à seulement vingt quatre ans, elle fut nommée abbesse par le pape Pie IX, alors même que la communauté n’était encore qu’un prieuré. Cette nomination précoce, exceptionnelle dans l’histoire monastique, fut interprétée comme un geste de gratitude du pape envers dom Guéranger, dont l’action avait été déterminante lors du concile Vatican I en faveur de la définition du dogme de l’infaillibilité pontificale. Dès lors, Mère Cécile Bruyère devint la première abbesse de Sainte Cécile de Solesmes, charge qu’elle exerça jusqu’à sa mort.
Son gouvernement fut marqué par une intelligence profonde de la tradition bénédictine et par une énergie que ses contemporains qualifiaient de « très virile », tempérée par une grande sensibilité féminine. Elle transmit à sa communauté un amour ardent de la liturgie, de l’Écriture et de la vie intérieure. En 1886, elle publia un ouvrage devenu classique, La Vie spirituelle et l’Oraison, d’après la Sainte Écriture et la Tradition monastique, qui exprime sa doctrine spirituelle et son sens de la liturgie. Ce livre exerça une influence durable dans le monde monastique et au delà, révélant la profondeur de sa pensée et la clarté de son enseignement.
Sous son abbatiat, le monastère de Sainte Cécile devint un foyer de rayonnement spirituel. De nombreuses communautés féminines récemment fondées vinrent y chercher conseil et formation. Les bénédictines de Dourgne, sous la conduite de Mère Marie Cronier, bénéficièrent de son expérience, mais ce furent surtout les fondatrices du monastère de Maredret, en Belgique, qui reçurent de Sainte Cécile une formation directe avant de rejoindre leur propre fondation. Par son influence, Mère Cécile contribua ainsi à la renaissance du monachisme féminin en Europe à la fin du XIXᵉ siècle.
Elle accompagna également la communauté dans les épreuves de son temps, notamment les tensions politiques et les lois anticléricales qui frappèrent les congrégations religieuses. Malgré ces difficultés, elle maintint la stabilité, la ferveur et la cohésion de son monastère, veillant à ce que la liturgie et la vie communautaire demeurent le cœur de la vocation bénédictine. Son autorité, ferme mais maternelle, marqua profondément les générations de moniales qui se succédèrent sous sa direction.
Après plus de quarante ans d’abbatiat, elle mourut le 18 mars 1909 à Ryde, à l’âge de soixante trois ans.
Sa mort mit fin à une vie entièrement consacrée à Dieu, à la liturgie et à la formation spirituelle de ses sœurs. Elle laissait derrière elle un monastère solidement établi, une doctrine spirituelle qui continue d’inspirer, et une empreinte durable sur la Congrégation de Solesmes et sur le renouveau monastique féminin. Sa mémoire demeure vivante dans la tradition bénédictine, où elle est reconnue comme l’une des grandes figures spirituelles de la fin du XIXᵉ siècle.