Les stalles
Les stalles de l’abbaye Saint Pierre de Solesmes constituent l’un des ensembles les plus remarquables de l’architecture monastique française, tant par leur histoire que par leur iconographie. Leur état actuel est le résultat d’un long cheminement, mêlant héritage ancien et réaménagements du XIXᵉ siècle.
Elles sont aujourd’hui au nombre de soixante quatre, disposées dans le chœur de l’église abbatiale, selon une organisation qui remonte à 1865, date à laquelle le chœur fut reconstruit et réaménagé sous l’impulsion de la communauté restaurée par Dom Prosper Guéranger. Ce dernier, en rétablissant la vie bénédictine à Solesmes en 1833, avait entrepris une vaste œuvre de restauration liturgique, architecturale et artistique. La reconstruction du chœur et la mise en place des stalles dans leur configuration actuelle s’inscrivent dans cette vision d’ensemble, qui visait à redonner à l’abbaye un espace liturgique digne de la tradition monastique.
Parmi les soixante quatre stalles actuelles, vingt quatre sont beaucoup plus anciennes et datent de la seconde moitié du XVIᵉ siècle. Elles ne se trouvaient pas à l’origine dans le chœur, mais dans la nef, en avant du transept, dix de chaque côté et quatre en retour, face à l’autel. Leur style, typique de la Renaissance française tardive, se caractérise par un décor sculpté très élaboré, où dominent les bustes des ancêtres du Christ. Ces figures, disposées autrefois sur deux rangées superposées, forment un véritable arbre généalogique sculpté, le fameux rameau de Jessé. De Jessé, père du roi David, part une tige qui se prolonge de buste en buste jusqu’à la Vierge Marie portant l’Enfant Jésus. Cette iconographie, directement inspirée de la prophétie d’Isaïe annonçant qu’un rejeton sortirait de la souche de Jessé, est un thème classique de l’art chrétien, mais rarement traité avec une telle ampleur dans des stalles monastiques.
Les sculpteurs ont représenté les ancêtres du Christ tels qu’ils apparaissent dans les généalogies des évangiles de Matthieu et de Luc, les premiers occupant traditionnellement le côté gauche du chœur, les seconds le côté droit.
L’essence de bois utilisée pour ces stalles anciennes n’est pas explicitement mentionnée dans les sources consultées. Toutefois, la tradition française du mobilier liturgique de la Renaissance privilégiait presque toujours le chêne, apprécié pour sa solidité, sa résistance au temps et la finesse de sculpture qu’il permettait. Tout porte à croire que les stalles de Solesmes suivent cette règle générale, même si l’absence de mention explicite impose la prudence. Les stalles ajoutées ou réaménagées au XIXᵉ siècle, lors de la reconstruction du chœur, ont très probablement été réalisées dans la même essence afin d’assurer une homogénéité visuelle et structurelle.
Le style général de l’ensemble actuel est donc un dialogue entre la Renaissance française et le néo monachisme du XIXᵉ siècle. Les stalles anciennes, avec leurs bustes sculptés, leurs accoudoirs ouvragés et leurs miséricordes finement travaillées, témoignent de l’art religieux du XVIᵉ siècle, où la narration biblique se mêle à une recherche de réalisme et d’expressivité. Les stalles du XIXᵉ siècle, quant à elles, s’inscrivent dans la volonté de Dom Guéranger de restaurer un cadre liturgique conforme à la tradition bénédictine, sobre mais noble, inspiré des formes médiévales et de l’esprit de la liturgie romaine. Leur disposition en deux rangées parallèles, se faisant face dans le chœur, répond à la structure classique du chœur monastique, où les moines chantent l’office divin en alternance.
La question de l’abbé sous l’impulsion duquel les stalles furent mises en place doit être distinguée selon les périodes. Les stalles anciennes du XVIᵉ siècle furent probablement commandées par le prieur de l’époque, car Solesmes n’était pas encore une abbaye mais un prieuré dépendant de la congrégation de Saint Maur. Les sources disponibles ne donnent pas le nom précis du supérieur qui en fut l’initiateur. En revanche, la disposition actuelle, ainsi que l’intégration des stalles anciennes dans le chœur reconstruit, relèvent clairement de l’œuvre de Dom Prosper Guéranger, restaurateur de l’abbaye au XIXᵉ siècle. C’est sous son impulsion que le chœur fut réaménagé en 1865, permettant aux stalles de retrouver une place liturgique cohérente et de constituer un ensemble harmonieux.
Les stalles de Solesmes sont le fruit d’une histoire longue et stratifiée. Elles portent la mémoire d’un prieuré de la Renaissance, dont les sculpteurs ont laissé un témoignage unique de la généalogie du Christ, et elles s’inscrivent en même temps dans la grande œuvre de restauration monastique menée au XIXᵉ siècle. Leur nombre, leur iconographie, leur style et leur disposition actuelle en font un élément essentiel de l’identité spirituelle et artistique de l’abbaye, un lieu où la prière des moines se déploie chaque jour dans un cadre façonné par plusieurs siècles de foi et de travail humain.
-------------------------------------------------------------